Le carême, c’est quoi déjà?

Fêtes d’en haut et fêtes d’en bas dans dans les sociétés traditionnelles : d’octobre à mars, on vit au rythme des « fêtes d’en bas » : on se penche sur les tombes à la Toussaint, on s’incline sur la crèche à Noël et on termine par la semaine sainte qui conduit au tombeau. Puis d’avril à septembre, c’est les « fêtes d’en haut » : la vie liturgique est orientée vers le ciel avec Pâques, l’Ascension et Pentecôte. Le carême clôt les fêtes d’en bas, ou l’hiver (1). Mais qu’est-ce exactement que le carême, et quelle est sa signification chez les protestants ?

Contexte, par Anouk Dunant Gonzenbach

La question se révèle plus ardue que d’habitude. En effet, je ne sais pas si j’ai raté certains cours de catéchisme, mais je n’ai aucune référence en lien avec le carême, et je m’aperçois que je ne sais même pas si c’est une notion qui est en vigueur chez les protestants. Alors pour tenter de comprendre, je pars  consulter des références solides, en commençant par l’ouvrage Hiver, histoire d’une saison du professeur François Walter.

Le cycle de l’hiver

L’hiver, c’est un cycle à deux mouvements inverses: décroissance de la lumière jusqu’au solstice, puis croissance. De tous temps, le période du solstice était cruciale, un passage difficile à franchir, et autant chez les Romains que chez les Grecs de nombreux rituels rythmaient ces étapes.

Dans l’occident chrétien, on peut résumer très grossièrement ces différentes périodes, qui alternent des temps profanes et sacrés : les premières fêtes calendaires de l’hiver sont la Toussaint le 1er novembre suivie par la fête des défunts le 2 novembre. Début décembre, on entre dans le cycle de l’Avent, quatre semaines consacrées à préparer la célébration de la naissance de Jésus. Le lendemain de Noël commence la période dite des Douze Jours, qui se clôt le 6 janvier avec la fête des Rois. Débute alors la période de Carnaval, dont la fête de la Chandeleur est un point fort, qui va jusqu’au mardi gras. Puis vient le carême.

Le cycle de Noël est régi par des dates fixes ; celui de Pâques dépend du calendrier lunaire. Ainsi, le dimanche de Pâques est fixé au premier dimanche suivant la première lune du printemps. Le carême commence 40 jours avant Pâques, le mercredi des Cendres. 

Le carême

Le mercredi des Cendres débute donc le carême. Ce mot qui vient du latin quadragesima (quarantième) désigne « une période de quarante jours de préparation à Pâques avec des prescriptions visant à la conversion du chrétien, notamment par la privation de viande » (Walter p. 150). Quarante jours en référence aux quarante jours de jeûne de Jésus dans le désert. Pendant le carême, on fait maigre, l’intention est de nos jours d’entrer dans un temps de « silence » pour se préparer à la joie de la Résurrection. Le carême est pratiqué essentiellement par les Églises catholiques et orthodoxes.

Et chez les protestants ?

C’est bien ça, pas de carême chez les protestants. Demandons alors à Christian Grosse, professeur d’histoire et d’anthropologie des christianismes modernes à l’Université de Lausanne, ce qui s’est passé à la Réforme. Il commence par expliquer le rapport au lieu et au temps:  dans l’esprit des Réformateurs, il n’y a pas de lieu privilégié de présence du divin. Les églises ne sont dès lors plus considérées comme des lieux de proximité avec Dieu, car c’est la ville entière qui lui est consacrée. De même, il n’y a pas de temps privilégiés ni de jours consacrés à Dieu en-dehors du dimanche. Ainsi, le calendrier liturgique est supprimé à la Réforme, à part certains jours qui font directement référence aux événements de la vie du Christ qui sont essentiels pour le salut . Le carême ou les jeûnes du vendredi, considérés comme des contraintes rituelles, sont critiqués et supprimés. Pour les Réformés, on n’obtient pas le salut à travers des rituels, la grâce de Dieu étant gratuite. Il n’y a donc pas de liturgie protestante de carême.  

Mais il ne faut pas faire de confusion : Christian Grosse précise bien que le jeûne en tant que tel n’a pas été supprimé par la Réforme. Jeûner reste un acte d’humiliation et de repentance: des jeûnes solennels sont proclamés lors d’épidémies, de guerres ou de catastrophes climatiques. Ces jeûnes donnent lieu à des prédications qui pouvaient durer jusqu’à huit heures d’affilée, pendant lesquelles les pasteurs se relayaient. Ces jours-là, les gens passaient donc plusieurs heures au temple avant de manger. Ces jeûnes ponctuels étaient pratiqués dans toutes les Églises réformées. Les Églises de Suisse commencent ensuite à s’accorder pour jeûner au mois de septembre et consacrer à nouveau une date fixe pour ce jeûne, ce contre quoi les Genevois ont lutté (mais cela c’est le sujet du jeûne genevois).

Le « revival » du carême : un temps de solidarité

Le carême, qui on l’a vu n’est donc pas pratiqué chez les protestants, vit un renouveau depuis une cinquantaine d’année sous la forme d’une tradition de solidarité.

Le sociologue des religions Christophe Monnot explique que des campagnes œcuméniques de solidarité organisées pendant cette période ont pris en Suisse une grande ampleur depuis les années 1970. Le carême est ainsi ré-utilisé, actualisé même, pour aider l’autre. On profite désormais du Carême pour rendre visibles au public les actions de solidarité Nord-Sud des Eglises par le biais d’une campagne de sensibilisation oecuménique (célébrations, rencontres avec des témoins, soupes de carême, vente de roses etc.) qui appelle aux dons. Elle est portée par Action de Carême chez les catholiques et l’EPER chez les protestants.

Max Havelaar,le label Fairtrade, a par exemple été inventé en Suisse par les Églises suite à des actions de carême.

On me souffle encore à l’oreillette qu’une nouvelle action oecuménique, Détox’ la terre, vient d’être lancée et concerne en priorité les jeunes, liant le jeûne aux préoccupations écologiques.

1) François Walter, Hiver. Histoire d’une saison, Paris, 2013, p. 123
 

Mis à jour le 2 mars 2022

La joie de la Madeleine du Gréco, un tableau proposé par Jean Stern

Atelier de Greco (Doménikos Theotokópoulos), Le Repas dans la maison de Simon, vers 1615-1625
 © The Hispanic Society of America, New York

L’épisode du repas chez Simon est montré bien inhabituellement par le peintre, c’est le début du repas et non la fin comme on le voit le plus souvent. Le drame va bientôt se nouer, et pourtant on en devine déjà les ressorts : Madeleine (suppose-t-on, car les quatre Évangiles diffèrent) s’approche du Christ avec délicatesse et apporte le parfum précieux qu’elle va répandre sur ses pieds ; les convives débattent déjà du sens déplorable de cette excessive dépense et le repas est plutôt maigre. Le sandwich du premier plan semble bien sec. La main de Jésus est déjà dans le geste de pardon qu’il adressera sous peu à Madeleine.

Et si c’était une image du Carême, où se conjugue proximité au Christ et retour sur soi (la position et le geste de Madeleine), repas peu gourmand, joie du pardon à venir, don à l’autre ? L’Autre étant ici le Christ.