Au fait, la Chandeleur, c’est quoi déjà?

Le vieux Siméon, par Anouk Dunant Gonzenbach

Ich habe genug. Les notes de la cantate de Jean-Sébastien Bach se déversent dans la cuisine depuis la stéréo du salon, remplissent l’air. Sur ces notes, les mots du vieux Siméon, il y a longtemps. On n’est alors plus dans cette cuisine à préparer de la pâte à crêpes pour la Chandeleur, on est à Jérusalem il y a deux mille ans.

« Puis quand vint le jour où, suivant la loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils amenèrent Jésus à Jérusalem pour le présenter au Seigneur –ainsi qu’il est écrit dans la loi du Seigneur : tout garçon premier né sera consacré au Seigneur- et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits pigeons. »

On est à Jérusalem il y a deux mille ans. Là, Siméon. Il a cent douze ans, Siméon, homme juste et croyant qui attend la mort. Il lui avait été révélé qu’il ne la verrait pas avant d’avoir rencontré le Christ.

Ce jour-là, poussé par l’Esprit, il se rend au temple, où Marie et Joseph lui amènent Jésus. Le très vieil homme prend alors le bébé dans ses bras puis s’adresse à Dieu, « maintenant, Maître, c’est en paix comme tu l’as dit que tu renvoies ton serviteur, car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé face à tous les peuples ».

Ce récit, c’est celui de la Présentation de Jésus au temple, raconté par Luc dans son chapitre deux (2-32). Elle a lieu le 2 février, quarante jours après Noël, car les enfants devaient être présentés à Dieu quarante jours après leur naissance. C’est devenu la Chandeleur, célébrée semble-t-il sous sa forme chrétienne en Occident depuis 472, mais cette fête vient aussi de la nuit des temps, la fête païenne des lupercales en l’honneur des loups ou encore la fête de la fin de l’hibernation de l’ours. L’ours qui sortait de sa tanière ce jour-là pour voir si le temps était clément.

Quarante jours après Noël donc, Marie, Joseph et l’enfant se rendent au temple, où Siméon reçoit Jésus dans ses bras, le bénit et prononce ces belles paroles, « Maintenant, Souverain maître, tu peux laisser ton serviteur aller en paix, car mes yeux ont vu ton salut ».

Je suis comblé, dit Siméon. Ich habe genug. Jean-Sebastien Bach écrit cette cantate en 1727 le quatrième dimanche de l’épiphanie, qui tombe cette année-là un 2 février. Ich habe genug exprime Siméon, qui a vu Jésus et qui peut désormais mourir dans la joie. Siméon est serein. Schlummert ein, le deuxième aria, l’aria du sommeil, est comme une berceuse accompagnant le mourant. Endormez-vous, yeux fatigués. Pour Siméon, la fin de vie est paisible, le désordre est une chose du passé.

Siméon est arrivé à bon port. La cantate se termine, la cuisine devient paisible le temps d’un instant. Il ne reste plus qu’à confectionner les crêpes, qui rappellent peut-être le disque solaire, évoquant le retour du printemps. Ou peut-être aussi les doit-on à un ancien pape qui en faisait distribuer aux pèlerins qui arrivaient à Rome. Ou alors, c’est une réminiscence des gâteaux de blé offerts en offrande par les Vestale lors des Lupercales pour que la récolte suivante soit bonne.

C’est la Chandeleur. Mot qui dérive de chandelles, cierges bénits portés par les fidèles lors des processions. Depuis, on dit que toutes les bougies de la maison devraient être allumées à cette date. La Chandeleur, fête de la Présentation de Jésus au temple et de la lumière car l’hiver touche à sa fin. L’ours sent le printemps au bout de son museau. Profitons-en pour faire rayonner autour de nous la lumière des bougies et du soleil renaissant, en s’imprégnant des paroles du vieil homme, Ich habe genug, Siméon qui savait où était son port.

Pour en savoir plus:

François Walter, Hiver, histoire d’une saison, Paris, 2014.

 

En musique, le choix de Jean-Michel Perret

Celles et ceux qui ont fréquenté adolescents des groupes de jeunes où l’on chantait se souviennent sans doute de chants poétiques et bien écrits comme « Né de la poussière, et d’éternité », « La plus belle des chansons d’amour » et « Siméon ». Tous trois sont des compositions d’un groupe Français des années 70, les Témoins.

Pour l’épiphanie nous revenons à Siméon (chanson à écouter ici) bien évoqué par Christine de Coninck.

 

Fortune des images par Jean Stern

L’image qui reproduit le réel dresse une sorte de mystère par son silence et son présent éternel. Quand une image reproduit une autre image, le mystère s’épaissit. C’est le cas dans cette formidable confrontation des deux Présentation de Jésus au Temple de Mantegna (1453) et Bellini (1470), visible lors d’une exposition présentée en 2018 à Venise puis à Berlin.

Ici tout se démultiplie : la sainte famille est représentée par des membres de la famille de Mantegna (et Mantegna lui-même), et Bellini qui reprend et élargit la composition est aussi le beau-frère de Mantegna. L’identité de tous ceux auprès de qui Jésus est présenté, Siméon et le peuple juif tout autour, est endossée par les contemporains familiers des deux peintres. Une actualisation commune chez les peintres de l’époque mais ici l’opération de « mise à jour » est soulignée dans le dédoublement et l’augmentation (des figurants) de cette composition magistrale : on peut répéter toujours et encore l’épisode, c’est toujours différent, toujours ici et toujours maintenant.

Andrea Mantegna, Presentazione di Gesù al Tempio, vers 1453. Tempera sur toile. 77.1 x 94.4 cm. Gemäldegalerie - Staatliche  Museen zu Berlin © Gemäldegalerie - Staatliche Museen zu Berlin.
Giovanni  Bellini, Presentazione di Gesù al Tempio , vers 1470. Huile sur bois. 82 x 106 cm.. Fondazione Querini Stampalia di Venezia © Fondazione Querini Stampalia Onlus - Venezia.