De la toute-puissance à la vulnérabilité

« Noël, d’un point de vue mythique, c’est l’histoire d’un Dieu créateur qui, constatant que quelque chose ne fonctionne pas, choisit de se mettre en jeu dans sa propre création » expliquait le professeur Enrico Norelli lors d’un « Noël sans ailes » à Uni-Dufour en 2017, dans le cadre des Noëls de l’Uni.

Par Jean-Michel Perret, 25 décembre 2020

C’est dire que ça ne date pas d’hier que quelque chose cloche dans le fonctionnement du monde, et que Dieu a beau s’abaisser à se faire homme à Noël, le rétablissement d’une harmonie universelle et éternelle relève toujours de l’espérance. Même  2000 ans plus tard. Il n’en reste pas moins que les chrétiens sont appelés à se comporter comme si cette réconciliation entre le Dieu créateur et sa création était déjà réalisée, et avec elle ses promesses d’équilibre entre l’humanité et son environnement.

Après l’essor foudroyant des technologies aux 19 et 20e siècles, qui a donné à l’humanité un sentiment de toute puissance, peut-être que la crise actuelle nous aidera  à retrouver l’humilité qu’entraine une prise de conscience de la vulnérabilité du vivant. Une humilité qui ne paralyse pas de crainte, mais aide à retrouver des racines là où nous en sommes, comme des migrants qui trouveraient un point d’attache après un long périple.

Il y a quelques années, une publicité pour une compagnie aérienne qui était placée sur un quai de la gare Cornavin vantait : « voyez plus grand que le Léman ». Il est probable qu’à Bruxelles la même compagnie interpellerait par « voyez plus haut que la Belgique » et qu’en Valais ce serait « ouvrez votre horizon ».  Mais depuis quelques mois nous aurions plutôt besoins d’encouragements du type : « vivez mieux là où vous êtes » ou « et si vous découvriez votre environnement immédiat ? »

Fin novembre nous avons entendus : « il faut sauver Noël ». Hier, dans un quotidien romand, un conseiller d’Etat déclarait : « moins on se verra à Noël, mieux on se portera »… Calvin, qui ne voyait pas pourquoi fêter la naissance de Jésus à Noël puisqu’on ne sait rien de sa date de naissance, aurait apprécié. Tout comme Luther aurait apprécié les appels répétés de nos édiles à la responsabilité individuelle, injonction paradoxale quand elle émane d’élus dont la fonction est de prendre des décisions d’ordre général. On peut donc se demander ce qu’il reste aux églises à proclamer quand les exécutifs s’expriment comme des ecclésiastiques.

Cette année 2020 s’était ouverte pour moi par l’invitation de la paroisse catholique de Bagnes à assurer une prédication à deux voix à la messe des vœux au Châble, avec une collègue pasteure, en présence des autorités municipales. Lors du repas officiel qui a suivi au café du Mont-Fort à Sarreyer, la discussion a porté notamment sur le développement du tourisme alpin malgré le réchauffement climatique. A la question de l’enneigement de plus en plus incertain une réponse donnée reconnaissait un éventuel impact de l’activité humaine sur le climat, mais tenait compte que de par le passé des événements imprévisibles avaient changé le cours de l’Histoire : des catastrophes naturelles, des guerres, des épidémies. Nous étions bien loin d’imaginer que trois mois plus tard Verbier serait un cluster de la Covid 19, et que les autorités appelleraient non plus à l’évasion et au grand air mais à la raison et à la responsabilité individuelle.

Noël 2020 se vit   encore sous le couperet d’une mutation de ce virus, rendant l’exploitation des remontées mécaniques peut-être plus onéreuses que si on les avait laissées fermées.

A Noël, Dieu est venu sauver ce qui était perdu, et perdu il y a de quoi l’être en cette période actuelle. Espérons que nous n’en recevrons que mieux cette Bonne Nouvelle vieille de 2000 ans, celle d’un Dieu qui, constatant que quelque chose cloche dans la marche du monde, choisit de quitter sa toute-puissance pour se rendre vulnérable avec nous.