Les Rameaux, c’est quoi déjà?

Dans l’enfance, les Rameaux, c’était la voix de ma grand-mère, épouse de pasteur, qui annonçait ce dimanche un peu spécial, avec un « a » bien appuyé, avec accent, les Rââââmeaux, on savait surtout que c’était un bon repas de midi dans un jardin aux fleurs de printemps. Après, les Rameaux, c’était un samedi dans les bois à cueillir des branches pour les paroissiens qui nous prêtaient un local pour les scouts, puis on les proposait à l’entrée de la messe de 17h00 en échange de quelques sous, et c’était terrible, parce que les gens se battaient presque pour avoir les plus beaux morceaux, ils en prenaient plein en disant que c’était pour leur voisine, leur parrain, leur grand-père et on avait l’impression de se faire avoir, et les gens voulaient savoir si elles étaient déjà bénies, ces petites branches de buis. On ne savait encore pas vraiment ce que c’était.

Contexte par Anouk Dunant Gonzenbach

Le dimanche des Rameaux, qui est l’aboutissement du Carême, commémore l’entrée du Christ à Jérusalem. Ce dimanche précède immédiatement la semaine de Pâques, ou Semaine sainte. Une célébration des Rameaux a lieu autant chez les Réformés que dans l’Eglise catholique.

Le dimanche des Rameaux prend son origine dans le texte biblique : lorsque le Christ approche de la descente du mont des Oliviers, assis sur un ânon, une foule immense vient vers lui et l’acclame. Le chemin qu’il prend pour entrer dans Jérusalem est jonché de vêtements et de rameaux jetés par les hommes, les femmes et les enfants.

De quand date cette tradition ? Pascal Collomb, dans un article du magazine l’Histoire de 1999 (1), explique qu’au 4e siècle, la célèbre pèlerine Égérie raconte que les habitants de Jérusalem marchent dans les pas du Christ chaque dimanche précédant la semaine pascale. Au 8e siècle, on évoque à Rome le « dimanche des palmes ». Il faut attendre la deuxième moitié du 8e siècle pour voir apparaître en Gaule les premières bénédictions de rameaux. Les premiers témoignages des processions qui font suite à la bénédiction et à la distribution de rameaux aux fidèles apparaissent en Occident au 9e siècle.

On peut remonter plus loin dans l’histoire : François Walter, dans son ouvrage sur l’hiver, explique que le cycle de Pâques, même christianisé, associe aux croyances chrétiennes des éléments folkloriques ou magiques liés au passage de la vie à la mort et au renouveau de la végétation. Il pourrait y avoir des coutumes préchrétiennes célébrant le printemps, que l’Église a essayé de canaliser afin de transformer des gestes magiques en gestes religieux. Et avec les Rameaux, il semble que ce soit vraiment ce phénomène, un rite qui vient de la célébration du printemps. (2).

Encore un mot sur les processions : au Moyen-âge, il devient coutumier de tirer des sculptures en bois qui représentent le Christ sur un âne, au départ posées sur un char puis dès le 13e siècle fixées sur les planches à roulette. Astrid de Brondeau explique sur son blog que ces sculptures, nommées Palmesel, rencontrent un grand succès en Allemagne du Sud, en Alsace et en Suisse. Beaucoup de ces ânes des Rameaux seront détruits à la Réforme. On peut voir un Palmesel au Louvre (Le Christ des Rameaux, Souabe, vers 1520-1525). Si les processions ont aujourd’hui disparu à quelques exceptions près, l’Église catholique a maintenu la bénédiction des Rameaux, qui sont ensuite conservés une année puis traditionnellement brûlés lors du mercredi des Cendres.

Chez les Réformés, il n’y a pas de bénédiction des Rameaux. Il s’agit d’un culte « normal »  mais qui est devenu important car il s’agit souvent d’un culte pour les familles. Il semble que comme les familles étaient souvent absentes à Pâques à cause des vacances scolaires, le culte des Rameaux est progressivement devenu une grande fête paroissiale pour les familles. D’autant que l’histoire des Rameaux, avec l’âne, est très illustrative pour les enfants. 

1) Pascal Collomb, « Le dimanche des Rameaux », in L’Histoire, 1er septembre 1999, n. 230, pp. 22-23.
2) Ce paragrape est tiré de : François Walter, Hiver. Histoire d’une saison, Histoire Payot, Paris, 2013, pp. 152-153.

Ce que dit le texte :

Lorsqu’ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples et leur dit : « Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n’a encore monté. Détachez-le et amenez-le. Et si quelqu’un vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ? ” répondez : “Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.” » Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d’une porte, dans la rue. Ils le détachent. Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu’avez-vous à détacher cet ânon ? » Eux leur répondirent comme Jésus l’avait dit et on les laissa faire. Ils amènent l’ânon à Jésus ; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s’assit dessus. Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d’autres des feuillages qu’ils coupaient dans la campagne. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! » Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c’était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze.

Marc 11, 1-11

Il y a quoi, dans l’œil noir de l’âne gris ? un film proposé par Jean Stern

Le curé de la paroisse voisine a voulu m’emprunter mon âne gris cette année, il souhaitait renouer avec la tradition de la procession des Rameaux. Après avoir consulté l’animal, j’ai décliné, ayant compris à son air ombrageux qu’il promettait quelque arrêt définitif et malvenu au milieu du cortège. Aujourd’hui, je pense qu’il est de la famille de l’ânesse de Balaam (Livre des Nombres, 22), qui a heureusement retenu le faux prophète dans son chemin d’égarement, grâce à un ange invisible. Imaginons aujourd’hui une procession au milieu de l’épidémie : tous les paroissiens contaminés, le curé s’en mordrait les doigts.

Mon âne ne m’a pas parlé, contrairement à l’ânesse, ni entendu d’autre voix que celle du virus qui approchait, et il a su résister, je sais désormais que c’est plus sa qualité que son défaut.

J’aurais pourtant préféré qu’il ressemble à l’âne noir et docile qui est conduit au Christ dans cette séquence poignante de L’Évangile selon St Matthieu de Pasolini : on le voit entraîné par l’un des apôtres puis accepter sans rechigner l’hommage empressé du peuple de Jérusalem, foulant les vêtements étalés à terre et côtoyant les palmes agitées par les enfants. Si toutefois son regard reste imperturbable c’est qu’il devine que cette foule trahira sitôt après son maître.

Pier Paolo Pasolini, L’Évangile selon St Matthieu, 1964
Pier Paolo Pasolini, L’Évangile selon St Matthieu, 1964