Par Jean-Michel Perret, 6 août 2019
A Genève, le Monument international de la Réformation, dit Mur des réformateurs, est devenu à travers le temps le support de toutes les revendications. Souillé de peintures noire ou multicolores, agressé au burin, orné de déguisements, détourné sur les réseaux sociaux par la magie des images retouchées, ce monument fait ainsi régulièrement parler de lui et particulièrement cet été. Et peut-être est-il normal qu’un monument qui est déjà en soi une revendication à ne pas voir sombrer dans l’oubli l’impact de la Réforme du 16e siècle serve de support à de nouvelles revendications plus contemporaines. Le caractère austère et daté des statues n’incite pas outre mesure à le préserver, si ce n’est pour sa symbolique. Il apparaitra peut-être dans une beauté renouvelée à nos descendants, mais aujourd’hui il évoque plus l’architecture mussolinienne qu’un mouvement précurseur des Lumières. S’en prendre à lui est-il donc une bonne idée pour se faire remarquer, comme le prétend l’extrême-gauche genevoise qui dénonce la récupération politique par la ville de Genève du mouvement LGBT ? Plus largement, est-il pertinent de s’attaquer aux symboles, de jouer les iconoclastes modernes, tels les talibans avec les Bouddhas de Bahmian, pour mieux se faire entendre ?
Nos sociétés occidentales évoluent rapidement, et sans doute de plus en plus rapidement. Durant le 20e siècle, les droits de nombreuses minorités se sont trouvés modifiés, parfois péjorés (les Juifs, les Tziganes, les personnes handicapées dans les années 30-40), souvent améliorés (les Américains de couleur, les personnes homosexuelles). Il suffit de regarder en arrière de quelques dizaines d’années pour que l’époque de la jeunesse de nos parents nous paraissent extraordinairement lointaine. Essayez d’expliquer aux jeunes d’aujourd’hui que nous avons grandi sans téléphone portable ni internet… Ce caractère étrange du passé nous saute d’autant plus au visage lorsqu’il s’agit de monuments publics positionnés de façon centrale dans la cité. Il n’y a que des hommes sur le mur des réformateurs ! Et sans doute tous hétéros, blancs de peau, occidentaux. Pas d’obèse ni d’handicapé, pas de migrants ayant traversé la Méditerranée. Et pourtant Calvin et Bèze sont pour quelque chose dans le caractère social de Genève, dans la reconnaissance des femmes comme égales des hommes, dans la promulgation du savoir pour toutes et tous. Mais ça, on ne le voit pas, parce que la Réforme, c’est d’abord la promulgation d’idées qui sont mises en œuvre dans la société. Et une fois que ces idées sont intégrées, et bien on oublie d’où elles viennent. Alors oui, le Mur des réformateurs est une revendication à ne pas laisser sombrer dans l’oubli, et il peut être le support ou le miroir de revendications actuelles. Mais laissons au passé le droit d’avoir été ce qu’il a été, et écrivons le présent pour changer l’avenir, en prenant soin de murmurer nos revendications à l’oreille de notre prochain qui, ô surprise, aura peut-être à son tour à nous murmurer sa revendication…
Jean-Michel Perret