On dit « entrer en Carême » comme on dit « entrer en quarantaine ». Ce parallèle est dû au fait qu’on ne choisit ni le temps du Carême ni celui de la quarantaine, ce sont des temps qui nous précèdent et dont la portée nous dépasse.
Par Jean-Michel Perret, 25 février 2020
Pour les protestants, le Carême, du latin « quadragesima », pour quarantième jour, ne signifie rien de particulier puisque seule la foi sauve, le salut étant un don gratuit de Dieu, nos œuvres n’y sont pour rien. Cela dit, rien ne nous empêche de profiter de cette quarantaine de jours avant Pâques pour nous souvenir particulièrement de celles et ceux qui sont en souffrance, en les remettant à Dieu dans l’espérance d’un avenir meilleur. Se faisant, on peut se demander ce que ça nous ferait d’être le patient zéro ou un de l’épidémie de Coronavirus et ce que ça fait depuis d’être un Chinois qui tousse dans des transports publics européens…
Le Coronavirus est aux portes de la Suisse, et des affiches à l’Université de Genève indiquent quelles précautions prendre face à ce qui est une épidémie et pas encore une pandémie. Le retentissement médiatique est symptomatique de la difficulté de notre époque à gérer l’incertitude alors que de nombreuses actions et choix de société sont dictés par la volonté du « risque zéro ». L’Italie, pays le plus touché en Europe depuis quelques jours, a déjà 52000 personnes en quarantaine, et ce n’est sans doute pas fini. Se retrouver en quarantaine, c’est se voir priver du droit de se déplacer en dehors d’une certaine zone voire être confiné chez soi ou… sur un paquebot ou dans un train parce que deux asiatiques présentent des symptômes grippaux.
Alors peut-on dire qu’entrer en quarantaine, c’est entrer en Carême ? Le Carême débouche sur Pâques, et avant Pâques c’est la crucifixion, symbole par excellence de l’exclusion. Les porteurs du Coronavirus ne sont-ils pas les porteurs actuels de la couronne d’épines du Christ ?
Le Coronavirus nous a donné d’emblée une première figure christique, le Dr Li Wenliang, ophtalmologue à Wuhan et condamné par le gouvernement chinois avec 7 autres médecins pour avoir propagé des rumeurs avant d’être réhabilité un mois plus tard, non sans avoir contaminé sa femme enceinte et ses parents avant de décéder quelques temps plus tard… Sur les réseaux sociaux chinois, ce n’est pas un vent de révolte mais un appel aux gouvernants à devenir… humain. Et c’est bien là toute la question : face à la menace et à l’incertitude, comment devenir ou rester humain ? Faut-il se retirer du monde pour se préserver ou au contraire s’engager en vue d’aider ?
Il y a quelques jours en Italie l’Ocean Viking de Sos Méditerranée a pu débarquer les 276 rescapés à Pozzallo, mais ils ont été de suite placés en quarantaine à terre. L’équipe à bord de l’Ocean Viking est quant à elle aussi placée en quarantaine mais sur le navire à l’extérieur du port de Pozzallo. La Lybie n’est quasiment pas touchée par le virus, qu’importe, le prétexte est bon, et ce n’est sans doute qu’un exemple parmi d’autres.
Ceci dit, on parle beaucoup de décroissance et d’impact de l’activité humaine sur la planète et le climat. L’épidémie en cours est en train de ralentir cette activité humaine, et si l’économie chinoise tousse c’est le monde entier qui éternue. Les vols aériens sont en diminution, et la notion de mobilité, si chère à notre époque, se retrouve mise en question pour des raisons sanitaires. Bien sûr cela ne sera pas sans conséquence sur l’emploi et la précarité, mais si c’était là aussi l’occasion de réfléchir à notre tour à notre usage de la mobilité, et des ressources de notre planète en général ?
Saint Augustin affirmait « aime et fais ce que tu veux », sachant que si l’inclination du coeur de l’homme est au bien alors ce qu’il souhaite faire contribue au bien. Je rajouterais simplement un « car » à l’affirmation d’Augustin, ce qui nous donne « car aime et fais ce que tu veux ».