par Jean-Michel Perret, 3 avril 2020.
Y-a-t-il péril en la demeure ? Les références à des crises passées comme le sida ou Tchernobyl dans diverses prises de parole indiquent que nous sommes à nouveau aux prises avec un danger global. A problème global, solidarité globale ? On pourrait espérer que nos gouvernements comprennent qu’on « ne peut pas se sauver soi-même, qu’il n’y a plus de frontières, que l’économie peut attendre, que la vie est fragile et que la santé est un droit pour tous » pour reprendre un manifeste paru sur les réseaux sociaux. Seulement voilà, mardi dernier le secrétaire général des Nations Unies Antonio Gutteres a dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : une bonne crise économique sur le terreau déjà en place des populismes et c’est reparti comme en 14, ou plutôt comme en 39-45.
Conjectures pessimistes ? L’Italie reçoit de l’aide de Cuba, de Chine, de l’Albanie, et pas ou peu de l’Allemagne ou de la France pourtant membre de l’Union européenne. En Hongrie, le président d’extrême-droite Orban a mis sous cloche le parlement comme en période de guerre. Et chez nous, le Secrétariat d’état aux migrations (SEM) continue les procédures d’asile qui obligent les requérants à prendre les transports publics pour se rendre à des auditions et à vivre le stress de réponses administratives lourdes de conséquences alors que le Conseil fédéral demande aux citoyens de rester chez eux. Nous sommes bien loin d’une prise de conscience globale qui permettrait de ralentir la machine et de repositionner notre modèle économique face à d’autres impératifs à plus long terme tels que le réchauffement climatique, la gestion des ressources en énergie et des déchets nucléaires. Sommes-nous globalement des ânes ou une prise de conscience globale est-elle possible ?
L’actualité des Rameaux et de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem juché sur une ânesse, comme le prophète Balaam dans le livre des Rois, peut être une source d’inspiration qui n’est pas si bête. En effet, l’âne, et plus particulièrement l’ânesse, dans le monde biblique, n’est ni le symbole d’humilité que l’on croit trop souvent, ni le symbole de la stupidité et de l’entêtement qu’on lui confère à notre époque. L’âne est une monture royale, le cheval n’étant arrivé que tardivement chez les Hébreux, et l’ânesse encore plus puisqu’elle devient dans le cas de Balaam porte-parole du Seigneur.
Les Rameaux sont fêtés le sixième dimanche de Carême, continuant le chemin qui nous mène à la Croix, lieu pour les chrétiens de la subversion par excellence : ce qui est folie devient sagesse, et ce qui nous sépare jusque-là de Dieu, comme nos erreurs, nos fautes, notre capacité naturelle à commettre le mal, devient le lieu privilégié de l’action de la grâce de Dieu, et donc de la rencontre avec Lui. Dès lors, les chrétiens d’hier comme d’aujourd’hui sont appelés à se comporter comme si le Royaume était déjà présent en ce monde, et ce même si la lucidité de la raison donne à penser qu’il est déjà trop tard, comme en matière d’écologie. L’Humanité n’est pas toute puissante et peut-être court-elle à sa perte, mais individuellement nous pouvons faire notre part, et ne pas abdiquer. L’espérance placée en plus grand que soi peut donc aider à ne pas se décourager, et peut-être même à considérer les ânes avec un nouveau regard, comme le poète Francis Jammes l’a si bien écrit dans la prière ci-dessous :
Francis Jammes
Prière pour aller au paradis avec les ânesLorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête poudroiera.Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon Dieu.
Je leur dirai : » Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles. »
Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête
doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds
d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,
suivi de ceux qui portent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l’on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.
Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l’amour éternel.