Le ciel on va le refaire, Jean-Michel Perret, avril 2015, Journal des Bains n°13

Il sortit la tête de l’eau comme s’il se relevait d’entre les morts, les yeux tournés vers le ciel   déchiré par les rayons d’un soleil matinal. Une voix se fit entendre : tu es mon fils bien-aimé, en qui je mets toute ma joie, toute mon affection. Ce lien d’adoption affermi en son cœur il s’assit sur le bois des Bains des Pâquis, satisfait. Il regarda  à nouveau le ciel qui continuait de s’ouvrir et se dit : le ciel, on va le refaire. Le large horizon qui s’offrait à lui de ce point de vue unique à Genève élargissait ses pensées si confinées au quotidien. L’étendue du Léman comme miroir de ses aspirations les plus élevées ? Et pourquoi pas, si l’eau profane des bains pouvait lui signifier un nouveau commencement, ne serait-il pas celui qui, par ténacité et par jeu, montrerait à ses contemporains le chemin d’un ciel retrouvé ?

On allait bien rire, c’est sûr, lui le natif des Pâquis, d’une mère célibataire et d’un père inconnu, en sauveur du monde ? Encore un illuminé, un charlatan ! Mais le baptême reçu des mains de Jean, son ami d’enfance, signifiait pour lui un renouveau total.  Sa vie passée à errer dans les rues à se chercher un but  ne venait-elle pas de se transformer en une course joyeuse vers la légèreté et la simplicité ? Il suffisait d’y croire. En cet instant-là, l’espérance lui était facile, comme par miracle.

Jean continuait de baptiser en signe des temps derniers, annonçant la venue d’un royaume de justice déjà présent mais toujours à venir. Les candidats au baptême se succédaient.  Pour les uns  il s’agissait de se libérer de fautes passées, de cette mauvaise conscience qui vous paralyse en tous points et vous dégoûte de la vie. Pour les autres, moins nombreux, le baptême couronnait un lent processus d’apprentissage entamé depuis l’enfance au contact de la Bible, sans qu’il ne soit nécessaire de parler de revirement. Par le biais de cette eau redevenue sacrée l’espace d’un rite de passage, Jean redonnait l’espérance aux découragés, la joie de se ressentir  aux dépossédés d’eux-mêmes, l’assurance d’être un individu unique aux yeux du ciel pour tout un chacun.

Il prit congé de Jean et, s’éloignant, il entendait les chants et les acclamations. Mais de sa vie nouvelle, qu’en resterait-il, une fois les quais retrouvés ? Cette inquiétude lui gagnait le cœur : c’est de l’espérance d’un changement que le changement peut se produire. Il prit la résolution  de s’exercer à espérer, dans les petits gestes du quotidien comme dans les grands moments de l’existence,  dans le tumulte urbain de la semaine comme dans le silence du  dimanche matin.  

Soudain son  téléphone se mit à vibrer. Son amie Madeleine lui transmettait un message : Pâques c’est Dieu qui envoie un SMS, et la réponse à ce SMS peut s’appeler la prière, la poésie, ou la joie.   

Il se sentit alors un nouvel homme, par qui la réconciliation entre eaux sacrée et   profane ne saurait tarder. Le ciel, on va le refaire, se répétait-il inlassablement, le ciel il va nous refaire…